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In vino veritas, Gandy gallery
Un vrai bruit de verres et de bouteilles.
Conversation en vain.
— Comment ça s’appelle cet objet, ce verre rouge que matali a dessiné…
— … Le verre Kiddouch
— C’est un verre qu’on utilise le vendredi soir après la prière et qui sert à partager le vin…
— Ce vin, pour moi, c’est Noël.
— Son côté sucré… fruité… Disons plutôt…
— Pendant une dégustation, on est obligé de boire tellement de vins. On crache, forcément.
— Même un vin extraordinaire… on le crache.
— Qu’est-ce que c’est que ces verres ?
— Ce sont des verres INAO.
— Ils ont été dessinés expressément pour la dégustation, pour rendre plus simple l’appréciation de la couleur, du goût, du nez et de la bouche…
— Et la jambe ?
— Comment as-tu choisi ces vins ?
— J’aime bien les vins de Binner, Audrey et Christian Binner. Celui-ci, c’est un muscat : Ammerschwihr 2004. Tu es dans la relation avant même de boire.
— Moi, je le trouve minéral, ton Noël.
— Il a un truc un peu fumé, comme du bois.
— Je dirais qu’il est gras, mais du bon gras.
— Il n’a pas de sulfites.
— Ah oui les sulfites… Si le problème du vin naturel était seulement la présence du soufre, on aurait gagné la guerre…
— Ah là, je vous propose de manger une guimauve fumée, tourbée, au café…
— Pour le nez, le grain de café est une façon d’éliminer les parfums, d'effacer l’ardoise.
— Tout ce qu’on est en train de faire n’est absolument pas dans la norme de la dégustation.
— Oui, on ne crache pas.
— Il ne faut surtout pas manger, ne pas associer de saveurs précises.
— On a une mémoire des odeurs et on les associe à quelque chose d’intime...
— C’est quoi un vin naturel ?
— C’est que le vin est quelque chose de vivant. Il ne faudrait pas boire des vins au moment de la vendange. C’est comme si les vins revivaient un traumatisme. À l’automne, ils se referment. Comme s’il y avait une mémoire de la matière et du geste de la vendange.
— Il faudrait boire des vins plutôt… taxidermisés, qui ne bougent plus…
— Déjà la forme de la bouteille… Quand je vois une bouteille effilée comme ça… Je pense… et j’associe... Le vin lui-même peut avoir une forme originale.
— Peut-être que tu aimes la forme de la vraie bouteille… « bordelaise ».
— Le muscat est un vin, peut-être le seul, qui est fait avec des raisins de table.
— Bah re-voilà ton Noël… Fruits secs et raisins sur la table…
— En Touraine, il y a du chasselas aussi… Bon, tu peux manger tout. Les raisins pinot noir, pinot blanc… sauf qu’ils n’ont aucun intérêt…
— Si tu bois ce muscat avec du foie gras… C’est encore ton côté Noël...
— Moi, je trouve qu’il y a aussi un côté un peu pétrole…
— Et l’alcool, il fait combien ce vin… 13°, 13,5°.
— C’est quoi cette bouteille surprise ?
— J’ai apporté une bouteille d’un vin disparu : le chinon de vieilles vignes de Charles Joguet (Sazilly) 1992. Charles Joguet faisait un vin extraordinaire. Il a pris sa retraite pour devenir peintre et il est extrêmement déçu par la qualité du vin qui aujourd’hui sort de ses anciennes vignes et qui porte malheureusement son nom. Il ne se reconnaît plus depuis qu’un autre propriétaire fait son vin.
— Quelqu’un prend des notes ?
— C’est beau, cette bouteille, cette image d’orifice avec la croix.
— Moi, je ferais des dégustations plus sauvages. Je trouve ça pénible tous ces discours d’initiés autour du vin…
— Je rentre dans une boutique de vins. On ne peut même pas dire une boutique. Il faut dire une cave. Disons un endroit où l’on est intimidé. On me demande : "Vous êtes à peu près sur quel budget ?" C’est la question classique…
— Acheter du vin, c’est un peu comme quand tu rentres dans une galerie d’art et que tu ne connais pas. C’est presque un rapport d’intimidation… je veux dire… Tu n’as pas ça lorsque tu rentres dans une librairie.
— C’est marrant quand ils demandent : "Quel genre de vins vous aimez ?" Je réponds : "Bah le bon !"
— Ah, non. Moi, j’aime le vin velouté, le rouge, un peu rond et un peu sucré, je n’aime pas trop quand il est fumé…
— Donc tu aimes les Bordeaux.
— Non, je suis désolé, il y a des vins du Sud qui sont comme ça…
— Tu as vu la couleur de ce chinon, j’aime bien la couleur opaque.
— 1992… Super… C’est un vin encore jeune. Je ne peux pas regarder la couleur. La couleur influence mon nez et ma bouche… C’est malheureusement la couleur d’un vin fatigué… Orange, marsala… Mais le vin est extra…
— C’est quoi cette bouteille avec les nichons, en fait des nipples ?
— C’est un décanteur. Une carafe, et si tu vois, il y a le petit ustensile en verre rouge pour la remplir, il faut la voir en horizontal.
— C’est difficile à nettoyer ?
— Non, tu peux nettoyer avec des petites billes.
— J’aurais bien vu ce vin dans la bouteille faite avec cet assemblage de verres pour déstructurer ce ton rouge.
— Tu as une cave à Paris et une cave à la campagne ? Et une cave en Bourgogne…
— Ce chinon est incroyable : c’est un vieillard qui ressemble à un jeune…
— Il est très profond, il a de l’énergie. Très équilibré.
— Dommage, la seule chose qui n’a pas tenu, c’est la couleur.
— Non, pas de carafe, ça pourrait le tuer.
— Seize ans pour un chinon, c’est un cas presque extraordinaire… mais au-delà du côté perdu, je ne l’ai pas acheté dans son négoce. Je l’ai acheté sur eBay… Personne n’aurait acheté un chinon si vieux.
— C’est un vin permanent. On ne le retrouvera jamais. Il faudra en faire le deuil. Le deuil, c’est un aspect important dans la consommation du vin.
— Tout à coup, ça fait pauvre notre magnifique Binner…
— C’est vraiment difficile de parler de vins…
— À moins qu’on aime quand ils nous parlent de la forme sculpturale des grands vins de Bourgogne… le même langage extraordinaire des critiques d’art américains des années cinquante.
— On essaye de les définir et on les remercie, nos vins.
— Moi, je commence par lire et encore… Il y a toujours un problème de langage avec le vin… Un problème de verbe.
Extraits d’une conversation entre Ivo Bonarcorsi, matali crasset, Stéphane Corréard, Francis Fichot, Emmanuelle Lallement et Emmanuel Vaillant lors d’un dîner au Buisson le 16 juin 2008.
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Crédits
- Patrick Gries, courtesy Gandy gallery