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Giselle, Opéra de Bordeaux
Giselle ou la défense de la culture du vivant
L’intention
Mon rôle a été consisté à imaginer une lecture plus contemporaine de l’histoire de Giselle en mettant en présence dans le récit deux mondes en confrontation. D’un côté, le monde de la ferme où vit Giselle que je réinterprète en un « monde d'en bas ». Il est proche du vivant et le défend. De l’autre, le « monde du haut », est celui des gens qui craignent de perdre leurs privilèges. C’est une interprétation plus universelle en rapport avec notre monde contemporain et ses enjeux.
J’aime à penser qu’Albrecht est certes un transfuge, passant du monde d’en haut vers le monde d’en bas, parce qu’il aime Giselle mais aussi parce ce qu’il veut se rapprocher de la culture du vivant. C’est pourquoi à la fin, il est sauvé. Le monde d’en bas est une préfiguration du monde d’après.
Les deux actes sont très contrastés. L'acte 1 est celui du réel, de la vie : les costumes sont très colorés et la vie de la communauté exaltée.
L’acte 2 est l'acte du fantastique, il laisse place à l’évanescence apporter principalement par la présence fantomatique des jeunes femmes : les Willis.
Le décor
Mon point de départ créatif a été d’imaginer que le véritable personnage principal du ballet est le « tutu ». Et donc, toutes les structures créées pour faire le décor sont en forme de cône avec un rythme de lignes qui vient délimiter le pourtour. Le décor qui reste fixe rentre ainsi en résonnance avec le tutu. Sa dynamique, sa souplesse s’en trouve encore plus magnifiée.
Le ballet prend cadre dans un paysage romantique avec une forêt et une chaumière où vit Giselle dans le monde d’en bas, et un château au loin qui représente le monde d’en haut.
Mon intention a été de considérer que le mot paysage désigne une réalité : ce n’est pas seulement une vue, un panorama ou un simple morceau de nature mais un système d’espace élaboré par l’homme à la surface de la Terre pour répondre au besoin d’une communauté. En fait, l’intrication entre les activités humaines et les réalités naturelles est ce qui constitue un paysage.
Prendre conscience de l’environnement passe par notre relation à la terre et à son usage et par une réaffirmation d’un paysage communautaire. C’est pourquoi, le décor, et notamment les arbres qui le composent, ont été fabriqués à la main par les menuisiers de l’opéra. Non pas comme une représentation mais comme une construction de bois. Il en est de même pour le soleil qui a la même matérialité. Donner à voir de la vraie matière, non peinte, c’est montrer un vrai savoir-faire, avec le souci de son réemploi quand le ballet sera terminé. De même, les éléments du paysage de l’acte 1 sont réutilisés complétement différemment dans l’acte 2.
Les costumes
Deux types de costumes marquent la différence entre être du « monde d'en haut » et être du « monde d'en bas ». La matière même des costumes a toute son importance : « en bas », j’ai travaillé les matières brutes considérées comme peu nobles que j’ai voulu valoriser pour les rendre uniques grâce aux savoir-faire des ateliers de l’opéra. J’ai voulu détourner une matière brute quotidienne en proposant une autre typologie de sophistication.
Ces costumes sont réalisés en tissu gaufré fabriqué par une entreprise française et qui est utilisé habituellement pour réaliser des serpillères. Elle est constituée d’une trame 80 % de coton et 20 % de déchets recyclés. Ce tissu est produit spécifiquement pour ce spectacle. Il teinté et confectionné par les ateliers de l’Opera. Le « monde d’un bas » vient ainsi révéler les savoir-faire des fabriques textiles en France. C’est une richesse qu’il faut soutenir. De la fabrication de la matière dans le bassin textile de Lyon à la confection dans les ateliers de l’opéra, c’est une alliance entre deux fabriques à échelle humaine, entre deux savoir-faire.
Pour les costumes des gens du « monde d’en haut », j’ai imaginé une matière plus synthétique avec des couleurs un peu artificielles comme pour signifier un monde de l'apparence.
Enfin, durant ce travail de mise en scène, j’ai été invitée à me poser dans une « maison » qui fonctionne à l’image d’un organisme vivant où tout le monde a son rôle et son savoir-faire. J'ai pu échanger avec Eric Quilleré sur sa façon de mettre en place la chorégraphie, avec Jean-Philippe Blanc pour les costumes, voir le projet prendre vie avec l’atelier décor et l’éclairage de Yannick Fouassier. J’ai aimé impulser une logique d’ensemble puis laisser à chacun la possibilité de s’en emparer et d’abonder avec son savoir-faire. Cette organisation quasi-organique autour de ce projet singulier a reposé sur une confiance mutuelle qui sera, j’en suis sûre, perceptible lors des représentations.
Giselle
du 6 au 31 décembre 2023
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Crédits
- Julien Benhamou, Opéra de Bordeaux